[ Chapitre I : Chinon aux jours heureux ]
C'est le 15 décembre 1437 que je vis le jour à Chinon. Un petit bébé, loin des habituels beaux bébés qui naissent en décembre. Frêle, pâlichon, on ne me donnait pas trois mois à vivre. De ces premières minutes, je n'ai par moi même aucun souvenir. Je ne peux raconter que ce que ma mère me disait, quand elle me serrait dans ses bras après m'avoir sévèrement réprimandé après une bêtise. Elle me disait que j'était un bébé plutôt agité qui pleurait beaucoup. Un de ces bébés qu'on regarde chez le voisin et dont on se dit "Il est mieux là bas qu'ici. Et pourtant, elle me racontait qu'ils m'avaient aimé pour ce que j'étais. Un petit bout de chair qui pleurait, capricieux comme pas deux, bougon, déjà à l'époque. Ils ont pris soin de moi et j'ai survécu, malgré quelques épisodes douloureux liés à une infection ventrale.
J'ai donc atteint l'âge d'une semaine non sans mal. Je commençais à prendre des couleurs mais restait fragile. Et je crois que cette fragilité est restée jusqu'à aujourd'hui, même si hormis moi-même, personne n'a jamais dû s'en rendre compte. Avec les semaines qui passaient, je suis devenu presque normal. Reste que je n'ai jamais refait mon retard en centimètres et que je suis toujours une tête plus petit que la normale. Mais je m'y suis fait.
Mes parents étaient de simples paysans. Pas de riches laboureurs, non non. Des gens simple, libres, mais soumis aux aléas du travail saisonnier, travaillant chez le plus offrant, ou le moins méprisant. Une vie de labeur pour ces membres de la minorité berrichonne de Touraine. Du temps de mes grand parents et du fameux Robert Cornedrue, la famille avait quitté Loches pour Chinon, afin de se fondre dans la masse tourangelle. Et ils crûrent longtemps y être arrivés. La vie à Chinon se déroulait donc sans heurts apparents. Je grandissais, berçé entre deux cultures mais avec des parents aimants et un cercle d'amis certes réduit, mais de confiance. J'étais la fierté de mon père, Aureolus Cornedrue et ma mère, Belissende Cornedrue, me regardait avec des yeux remplis d'amour. Vraiment, j'avais tout pour être heureux.
Avec l'âge, les premiers soucis se firent néanmoins connaître. L'emploi du "Norf" en lieu et place du "arf" ou du "erf" me fit rapidement classifier comme "Berrichon". Je ne pouvais pas nier ma culture et j'essayais, tant bien que mal, de lutter contre cette discrimination qui, déjà, pointait son nez. Rien n'est plus cruel qu'un enfant d'une dizaine d'années, j'en fis plusieurs fois l'amère expérience. De quolibets et mauvaise blagues, les années après la dizaine pèsent encore dans mes souvenirs.
Et puis, une rencontre. Une demoiselle, un peu plus âgée, mais terriblement complice. L'Histoire, si vous suivez mes pérégrinations, vous devez déjà la connaître. Mais je prends la peine de vous la raconter, une nouvelle fois. Et si les mots sont les mêmes, c'est bel et bien parce que la plaie n'est pas refermée...
J'avais une amie, originaire de Touraine, née de bons parents à Chinon, elle aussi. Un peu plus âgée, c'est vrai, mais ça n'avait jamais eu d'importance entre nous. C'est en jouant avec d'autres enfants que nous fîmes connaissance, un soir. Deux grands timides qui se découvraient. Tout, ou presque, nous séparait. Outre l'âge, l'un était berrichon et l'autre tourangelle. Dans nos vies, dans nos habitudes, tout était en contradiction Jamais nous n'aurions dû nous rencontrer, c'est parfois ce que nous nous disions.
Et pourtant, très vite, nous nous mirent à jouer tous les deux. Avec ces jeux, de simples jeux auxquels jouaient bien d'autres personnes, nous nous découvrions un peu plus, s'appréciant en définitive de plus en plus. Les jours passaient et la complicité se faisait de plus en plus forte, de plus en plus poussée. On dira que nous étions devenus très proches, de vrais amis. Quand nous étions séparés, nous ne pouvions nous empêcher de faire le mur pour nous retrouver, de refuser d'aller avec des amis faire un tour de cheval ou encore de nous envoyer des pigeons. Deux vrais amis, en somme.
Au delà de leurs différences, nous apprîmes à nous comprendre et si tout ne se passait pas toujours au mieux, il y avait nécessairement des hauts et des bas, notre complicité se renforçait de jour en jour. Elle devint réellement très forte, quasi fusionnelle. Pourtant, c'était tout notre paradoxe, nous ne nous connaissions que depuis peu de temps, deux mois en fait. Peut-on devenir si proche en peu de temps, la preuve en avait été faite.
Et puis un jour, elle décida de mettre fin à notre complicité. Les raisons ne valent pas la peine d'être remémorées, mais elles se composaient de peur de s'attacher d'avantage, de crainte de souffrir et de certitude d'une fin, plus ou moins proche. La porte entre eux s'était refermée et je n'avais pas voulu tambouriner dessus. J'aurais voulu frapper, entrer dans cette maison et lui dire que je ne voulais pas que la peur dirige le futur. Plusieurs heures durant, devant la porte, je restai à argumenter, souvent dans le vide. Un filet de voix me parvenait parfois en réponse mais la porte resta close.
A vrai dire, et je terminerai le premier chapitre de ma triste vie ainsi, ils étaient devenus plus que des amis. Chacun d'entre vous, amis lecteurs, a ou sentir que cette complicité avait peu à peu glissé vers quelque chose de plus fort. Jusqu'à ce qu'un jour, les deux osent et se retrouvent main dans la main. Alors j'ai de grands regrets car je suis responsable en grande partie de la situation. La déception, car oui, je l'ai déçue un instant et je m'en veux encore aujourd'hui. Et ce sera mon premier conseil, ami lecteur... Rien ne vaut la franchise. Je sais que parfois, le mensonge est attirant, qu'il semble plus aisé à user que la vérité mais un mensonge, on le regrette toujours. Tel une faille dans la confiance réciproque, le mensonge agit comme le malin. Il assène le doute même dans les esprits les plus aimants. Alors ne vous laissez pas, comme moi je l'ai été, tenter, pas même une fois, car une fois suffit. Soyez honnêtes, toujours. Et si le mal est déjà fait, espérez que ce soit l'amour qui triomphe de la déception sans quoi, comme moi aujourd'hui, vous nourrirez de grands regrets toute votre vie.
[A suivre...]