Chez l'Homme_des_bois, n°104

Les 5 stères de chêne furent abattus rapidement. La colère décuplait les forces de Mentaïg.
Elle rentra très vite au 104, où elle trouva HdB en pleins préparatifs de voyage. Elle en comprit immédiatement la signification, et sourit de plaisir. Certes, ils se verraient moins souvent ; mais le poste obtenu par HdB serait certainement passionnant.
Elle s'approcha tout doucement, alors qu'il était penché sur sa musette, et l'enlaça.
"Félicitations, mon âme !" murmura-t-elle.

Ysabeau laissa un petit mot à la porte d'Homme des Bois

Citation :

Félicitations pour ta nomination HDB ! Je suis certaine que tu feras merveille à ce poste... Certes tu nous manqueras en taverne, mais je pense que tu viendras régulièrement à Sancerre...

Miséri venait tout juste d'apprendre la bonne nouvelle et se précipita pour envoyer un petit message à son ami :

Citation :

Mon cher Hdb,

Toutes mes félicitations ^^
Encore une nouvelle qui va devoir se fêter !
(Je te ramènerais quelques bouteilles de ma réserve personnelle)
Au fait, seras tu un juge totalement impartial ? Non parce que je me disait que si par malheur je faisait une bêtise...enfin oublie ça je ne fait jamais de bêtises moi...

Mentaïg était déçue.
HdB et elle avaient prévu de faire ensemble ce premier voyage à Bourges, mais cela s'avérait impossible. La jeune femme devait en effet s'occuper du recensement ce jeudi, ce qui n'était faisable que de Sancerre, et aucun de ses coéquipiers n'était disponible. Elle se résigna donc, en se disant que, malheureusement, cela risquait d'être fréquent.
Il s'avérerait probablement difficile de mener de front deux carrières et une vie privée, mais Mentaïg était prête à se battre pour y parvenir.

Mentaïg errait comme une âme en peine, incapable de se concentrer sur quoi que ce soit. S'étant levée trop tôt dans une maison vide, elle avait coupé du bois toute la matinée, puis passé un peu de temps en taverne pour aider des vagabonds. Elle avait déjeuné d'une bonne soupe de ses légumes, puisque la Guilde des Maraîchers craignait une surproduction. Elle avait échangé quelques mésanges avec Dame Ysabeau, avait répondu au pigeon d'un vagabond mourant.
Et puis elle avait lu et relu le message apporté par le pigeon de HdB.
Elle ressentait durement son absence, de toutes les fibres de son être. Seulement quelques heures de séparation, et déjà elle souffrait. Il fallait s'occuper, aider le temps à passer plus vite. Il rentrerait le lendemain. A tout instant elle croyait entendre son pas.
Elle porta au marché son stock de bois, traîna un peu sur la Halle à l'affût des dernières nouvelles. Elle visita vingt fois le pigeonnier et la cage à mésanges. En passa en vain devant les maisons de ses amis, dans l'espoir d'en rencontrer un qui aurait envie de discuter un peu, jeta un oeil dans l'embrasure des portes de toutes les tavernes. Elle évita soigneusement l'église, où reposait le corps de Galvane, en attente de la mort définitive ou d'une résurrection.
Elle répondit au message de HdB, en tâchant de ne pas trop laisser paraître son désarroi, - il avait besoin, dans sa nouvelle fonction, de toutes ses capacités.
Enfin, parce qu'il fallait bien faire quelque chose, elle s'attaqua aux mauvaises herbes du potager.

Mentaïg alla se coucher tôt.
Un échange de mésanges avec HdB lui avait appris qu'il se mettait en route le soir-même, pour arriver à Sancerre au plus tôt le lendemain matin. Elle aurait volontiers attendu en taverne, pour que le temps passe plus vite. Mais, outre le fait que Manu était en train d'y faire ses adieux, ce qui ne prêtait guère à sourire, les portiers n'avaient encore une fois laissé le choix à personne.
Une fois de plus, Mentaïg se dit qu'il était grand temps de résoudre ce problème de grèves à répétition, en fournissant aux portiers un matériel adéquat.
Le sommeil la fuit longtemps. La jeune femme était tiraillée par des sentiments antagonistes : tristesse de la mort de Galvane, nostalgie due à la fermeture de la Croûte, sentiment de vide absolu face à l'absence de HdB, mais fierté devant ses premiers verdicts, si justes.
Pour passer le temps, elle se concentra sur ce dernier aspect, tout en comptant à rebours les heures qui la séparaient de HdB. Sur bien des points, cela valait les moutons ! Elle finit par s'endormir.

Bien qu'encore plongée dans le sommeil, Mentaïg sourit d'aise sous la douceur du baiser. Elle ouvrit les yeux pour rencontrer la chaleur du regard de HdB, et aussitôt s'envolèrent tous ses tourments de la veille.

"Enfin vous voici, mon âme !"

Quoique couchée très tard, Mentaïg s'éveilla avant le jour, et son premier geste du matin fut de réprimer l'éclat de rire qui lui montait aux lèvres. HdB dormait encore. Hélas, épuisé par sa journée -il avait dû prononcer une lourde condamnation à l'encontre d'un mort !-, il n'avait pu partager l'hilarité de la veille à la taverne.
Mentaïg se leva sans bruit, attrapa ses vêtements ... et les relâcha aussitôt. Une odeur repoussante, subtil mélange de vinasse, de poisson pas frais, de terre et de salpêtre en émanait. Luttant conte le fou-rire qu'elle sentait monter, la jeune femme tira de l'eau dans l'auge et y déposa chemise et braies. Quant aux chausses, elle les enfouit sous un tas de cendres froides, remettant à la soirée leur nettoyage. Pour la journée à venir, elle devrait se contenter de ses haillons, mais comme elle avait l'intention de travailler en forêt, ça n'avait pas grande importance. Ce fut même avec un plaisir certain qu'elle chaussa ses sabots, un peu délaissés ces derniers temps.
Tout en préparant le poisson déposé miraculeusement par un hibou, Mentaïg réfléchit de façon plus sérieuse aux événements de la veille. Sa connaissance de l'anglais lui avait valu une nomination au poste de diplomate chargée de l'ambassade du Berry au comté de Wiltshire. Et elle devait bien s'avouer qu'elle ne voyait pas du tout par quel bout entamer cette tâche.
"Bien ! Chaque chose en son temps, se dit-elle. D'abord visiter les locaux, et puis on verra bien. Ce sera bien le diable si je ne trouve personne pour guider mes premiers pas."
Elle déposa le poisson vidé et écaillé dans un plat, sur un lit de feuilles d'oseille, recouvrit le tout de pommes en lamelles, de beurre fondu, et d'un couvercle bien luté. Le plat fut déposé au fond de la cheminée, entouré d'un cordon de braises. Le dîner cuirait ainsi tranquillement pendant que Mentaïg et HdB vaqueraient à leurs occupations du jour.
Ce dernier dormait toujours. Le jour se levait. Mentaïg écarta les courtines, contempla un moment le dormeur, dans l'espoir d'apercevoir son regard avant sa journée de travail. Puis, avec un soupir, elle déposa un rapide baiser sur un poignet abandonné, et sortit du 104 pour passer au n° 19.

Mentaïg s'était éveillée le sourire aux lèvres, malgré l'absence de HdB, déjà parti pour son travail. Elle croyait se souvenir qu'il avait murmuré quelque chose à propos de moutons...
La jeune femme ressentait une intense fierté, un grand bonheur en évoquant ce que HdB lui avait confié la veille. Il est toujours si gratifiant de voir des compétences appréciées et reconnues ! Elle s'était donc levée d'excellente humeur, avait préparé la soupe pour le soir, était passée dans le bureau des conseillers aux vagabonds : même le constat de l'absence du registre n'avait pas entamé ses bonnes dispositions. Elle avait pris une hache en mairie dans le but de s'en servir plus tard, et avait travaillé le reste de la matinée à l'ambassade.
Un pigeon lui avait apporté des nouvelles rassurantes d'un vagabond dont elle s'occupait et, en passant devant la Croûte, elle avait vu par la fenêtre que ce vagabond s'y trouvait. Elle s'était donc arrêtée. HdB l'avait rejointe peu après.
Mentaïg secoua la chape de plomb qu'elle sentait se poser de nouveau sur ses épaules. Un autre vagabond, aussi rustre et cuistre qu'on peut l'être, avait tenté à son égard un comportement inqualifiable. Elle avait immédiatement réagi, appuyée par HdB, mais le mal était fait. Les souvenirs enfouis remontaient à sa mémoire, écume malsaine des jours malheureux. Alors que HdB repartait travailler, Mentaïg s'assit un moment près de la cheminée, dans la maison désertée. Les yeux fixés sur les braises, elle évoqua, de toutes ses forces, la chaleur du regard de HdB, et le miracle eut lieu, une fois de plus. Ils vivaient l'un en l'autre, l'un par l'autre ; plus rien ne pouvait les atteindre.
Mentaïg chargea sa musette et sa hache et, toute allégresse revenue, prit le chemin de la forêt.

Une fois de plus les portiers, en colère contre on ne sait quoi, on ne sait qui, avaient jeté tout le monde dehors.
Mentaïg et HdB rentrèrent lentement, le bras de l'un autour des épaules de l'autre, les pas s'accordant naturellement.
La douceur semblait revenir, après la neige des derniers jours, dernier sursaut d'un hiver tardif. Les rares zones pavées luisaient doucement, humides d'une bruine qui baignait tout et semblait les relier aux nuages bas.
Malgré sa cape, Mentaïg était trempée en arrivant au n° 104, et HdB ne valait guère mieux.

HDB regarda le doux visage de Mentaig, éclairé d'un faible lueur. Ses cheveux humides lui collaient à la peau, lui donnant un air presque enfantin. Il la trouvait charmante, et déposa un baiser sur ses lèvres.

Puis ils entrèrent dans le logis, afin de se sécher et de se réchauffer un peu.

Venez ma douce, mettez vous près du feu!

Il jetta quelques buches dans l'atre et le feu crépitat.

Mentaïg s'installa le plus près possible de la cheminée, les mains tendues vers la flamme, dans une attitude qui lui était familière. Le feu l'attirait, comme la lampe aspire la noctuelle.
HdB ajouta quelques bûches, et vint s'asseoir près d'elle, lui offrant l'asile de ses bras, l'appui de son épaule, la douceur de sa joue sur son front. Elle se pelotonna, les jambes repliées sous elle, heureuse, et soupira d'aise. A travers ses paupières closes, elle percevait le rougeoiement de l'âtre, qui seul éclairait la pièce.

Environnée de douceur, de tendresse, Mentaïg s'assoupissait peu à peu.
Les images de la journée écoulée commençaient à se mêler à des rêves heureux. Elle ne savait plus trop si cet immense bonheur était une promesse ou un présent déjà bien établi.
Le souffle de HdB dans les cheveux, elle se laissa emporter par le flot.

Hugoruth passa en coup de vent pour déposer un mot chez HdB

Citation :

Cher ami,

La tragique disparition de Galvane nous atteint tous. Il faut néanmoins penser à l'avenir. Galvane était chargé en marge du conseil de recenser les personnes possédant des armes. Si tu le souhaites, ce poste peut te revenir. Cela n'est pas beaucoup de travail et doit revenir à quelqu'un ayant de l'expérience dans la police.

Amitiés Sincères

Hugoruth

Mentaïg s'éveilla tôt, au chant des oiseaux qui se disputaient les grains de blé échappés aux sacs, près du moulin. Elle savoura un moment de douce chaleur derrière les courtines, contempla le visage aimé aux paupières encore closes de HdB.
"Allons poursuivre cette conversation chez nous", avait-il dit la veille, juste avant de quitter la taverne.
La jeune femme sourit. "Chez nous..." C'était la première fois que le n° 104 avait été explicitement évoqué en ces termes...
Un autre jeune couple préparait son mariage, le baptême aristotélicien aurait lieu le soir-même. Ici, au n°104, sans qu'aucune cérémonie publique eût jamais eu lieu, vivait un couple.
Avec un soupir, Mentaïg s'arracha à sa contemplation. Le travail n'attendait pas. Elle laissa dormir HdB, il en avait bien besoin. Les tâches quotidiennes - feu à ranimer, eau à puiser, repas à préparer - lui parurent légères, ce matin-là. Tout s'enchaînait avec la facilité née d'une longue habitude, certes, mais surtout du bonheur d'accomplir les choses les plus simples, sans se poser d'autre question que celle du confort de l'Autre. Elle tira sur le coin du feu la soupe du matin, laissa sur la table, près de l'écuelle de HdB, le pain qui y tremperait, et sortit s'activer au potager.
Pour l'heure de tierce, les poireaux étaient habillés et repiqués, les échalotes plantées.
Mentaïg se redressa, les mains aux reins, et évalua l'heure à la hauteur du soleil au-dessus des toits de Sancerre. Il était temps de se mettre en quête d'un travail pour la journée, et de rallier l'ambassade pour rédiger son rapport.

En ce premier jour de l'An 1455, Mentaïg s'éveilla très tôt, pour constater que la journée s'annonçait belle. Le soleil émergeait de la brume pour venir caresser les toits, les arbres, le clocher de St-Jean.
La longue conversation qu'elle avait eue la veille avec HdB tintait encore aux oreilles de la jeune femme, tout absorbée qu'elle fût par ses tâches quotidiennes. Le front plissé, elle réfléchissait... Il faudrait en reparler, plus tard.
Le recensement ne lui prit qu'une petite heure : elle commençait à en avoir l'habitude, et le registre avait été parfaitement tenu par Nissac les deux jours précédents. Une mésange à Dame Ysabeau, avant de réserver une hache en mairie, et elle rentra pour rédiger son rapport et l'envoyer à l'Ambassade.
Elle resta assise un long moment devant la fenêtre ouverte, jouant machinalement avec sa plume dans le calme de la maison vide. HdB, levé dès l'aube, était depuis longtemps à son travail. Comme toujours quand il s'éloignait d'elle, elle ressentait au creux de l'estomac un vide, une faim intense de son regard. Elle secoua la nostalgie qui risquait de la précipiter à la recherche de HdB au lieu d'accomplir ses tâches, et prit le chemin du couvent, afin de prendre des nouvelles de Mathilde, qu'elle avait arrachée la veille à une mort certaine, puis de se rendre en forêt.

La journée s'annonçait bien.
Mentaïg et HdB eurent, assis côte à côte sur le banc devant la maison, dans le soleil naissant, une longue discussion indolente : le prix du bois, du pain, de la farine ; la santé des uns et des autres ; Mathilde qui semblait se plaire dans son couvent... Les sujets ne manquaient pas, et n'étaient que prétextes à retarder la séparation.
Il fallut bien cependant que HdB rejoigne le groupe de maréchaux avec lequel il allait veiller, ce jour, sur la défense de la ville.
Mentaïg avait fait dans le courtil, dès son lever, un grand feu d'ajonc sec, pour avoir vite de la braise, et elle y faisait bouillir de l'eau. A proximité immédiate, HdB lui avait juché un cuvier sur quatre gros rondins, de façon à ce que la bonde se trouvât à une toise du sol, et qu'on pût glisser dessous un petit cuveau. Dès le départ de HdB, elle tapissa le cuvier de vieilles toiles , puis y mit les linceuls, les chemises, les toiles, tout le linge sale qui attendait les beaux jours au grenier, tendu sur des cordes de jonc. Entre les couches de linge, elle épandait finement de la cendre de fougères, patiemment accumulée au cours de l'hiver.
Elle passa toute sa matinée à couler la lessive. Elle puisa d'abord une dizaine de seaux qu'elle vida dans le petit cuveau. Puis elle y ajouta de l'eau bouillante, jusqu'à obtenir la température idéale, qu'elle jaugeait en y plongeant le coude. Enfin, à l'aide d'une énorme louche de bois, elle versa peu à peu l'eau tiède sur le linge, en équilibre instable sur un escabeau tiré dehors pour l'occasion. Inlassablement, elle puisait l'eau dans le cuveau, la versait sur le linge, réglait le débit de la bonde pour que le linge eût le juste le temps de tremper, courait au puits pour mettre un peu plus d'eau à bouillir, rajoutait l'eau bouillante dans le cuveau quand la température baissait. La vapeur montait du cuvier, légère dans l'air du matin, l'eau passée à travers les cendres et le linge moussait de plus en plus dans le petit cuveau.
Quand le clocher de St-Jean sonna sixte, Mentaïg n'en pouvait plus. Les bras raides, les reins douloureux, elle sortit le linge du cuvier pour le tordre, avant de le rincer dans l'abreuvoir.
Elle put enfin le répartir dans deux grands paniers qu'elle transporta, en se mouillant abondamment, jusqu'à son potager. Depuis quelques semaines, elle préparait sa reconversion, et plus des trois quarts du terrain étaient recouverts d'herbe. Elle y étendit sa lessive.
Elle fut heureuse de pouvoir s'asseoir une petite heure pour rédiger son rapport à Messire Hugoruth.