Chez Mentaïg, au n° 19 rue de la Porte Vieille

La soirée s'était écoulée, bien agréable, entrecoupée de longs silences. Maleus était parti très tard, laissant sur la table une bouteille de calva bien entamée, que Mentaïg serra soigneusement.
La jeune femme se leva tôt, pour trouver du travail et en venir à bout au plus vite. Sa maison et son potager avaient été bien négligés ces derniers temps, et elle tenait à y remettre bon ordre. Passant devant le Havre, elle poussa machinalement la porte, sans même jeter un oeil pour voir qui était à l'intérieur. Et elle eut une magnifique surprise : Ice était de retour ! Il lui avait bien semblé apercevoir sa silhouette, l'avant-veille, puis la veille encore, mais elle s'était dit qu'elle rêvait. Et là, c'était bien elle, assise sur son tabouret habituel. Elle éclata d'un grand rire heureux et quitta aussitôt la taverne, pour laisser Ice et Lems en tête à tête.
Un nouvelle journée commençait, et elle commençait bien.

Et, comme tous les soirs, la séparation fut difficile. Comme tous les soirs, appuyée au battant de la porte, la jeune femme écouta le pas de HdB sonner sur le pavé en s'éloignant vers le nord de Sancerre.
Ce soir-là, d'autres pas s'y mêlaient, avec de gros rires, des chants grivois, tout ce qui fait sentir la présence de soldats dans les murs. Mentaïg chassa résolument de son esprit tout ce qui avait trait à la guerre, pour ne se rappeler que les heures passées tout contre HdB, et s'endormir en serrant dans ses paumes le souvenir de ses mains.

La foire avait commencé la veille. Après moulte hésitation, la vanité l'avait emporté et Mentaïg avait livré sa recette secrète de sanbocade pour participer au concours de cuisine. Elle avait un peu parcouru le champ, s'arrêtant aux étals, écoutant les rires et les cris des enfants qui couraient, surexcités, entre les jambes des grandes personnes. C'était encore bien calme, une lente montée en puissance qui culminerait probablement dans deux ou trois jours, avant de redescendre peu à peu. Mentaïg décida d'y passer faire un tour dès que ses tâches du matin seraient accomplies. Qui sait ? Peut-être y rencontrerait-elle HdB faisant sa ronde pour assurer la sécurité des habitants.
A la mairie, elle choisit de travailler chez Messire Demoultebierre. Il payait bien, et elle avait vraiment besoin d'argent. Ses légumes ne se vendaient plus, elle devait garder le peu d'écus qui lui restaient pour verser son salaire à celui ou celle qu'elle embaucherait pour récolter ses choux, son thym, ses poirées. Elle avait faim, mais décida d'attendre le soir. Le cas échéant, elle retirerait quelques légumes de la vente et les consommerait elle-même.

La soirée avait été fort agréable en taverne, les instants partagés intenses et nombreux. HdB et Mentaig marchaient en souriant dans la ruelle.

Ma douce, ces instants près de vous sont un bonheur immense, mais sont trop courts et trop rares

Mentaïg se serra contre HdB, heureuse.
"Il ne tient qu'à nous, mon âme, de les rendre moins courts et moins rares."

Je n'en demande pas plus à la vie ma douce, partager votre vie à chaque instant.

HdB parlait à voix basse, visiblement très ému

Dans l'ombre de la ruelle, Mentaïg chercha le regard de HdB.
"Nous lui demandons donc la même chose, Homme_des_Bois."

HdB semblait de plus en plus troublé, les yeux verts de Mentaig ne le quittaient pas. Il les trouvait beaux et profonds, le reflet de cette femme à la fois si forte et si fragile. Il avait toujours peur de la blesser, de la faire souffrir.

Ma douce, quand vous le souhaiterez, ma demeure sera la votre...ou l'inverse.... enfin vous comprenez.... je.... je ne suis pas doué pour celà... je vous aime, de tout mon être.

Les mains de HdB emprisonnaient celles de Mentaïg, les serraient à lui faire mal. Elle les porta à ses lèvres. Sans un mot, parce qu'il lui semblait que son coeur allait exploser, elle ouvrit la porte du n° 19 et entra, entraînant HdB à sa suite.

Ysabeau frappa à la porte de Mentaïg

Bonjour Mentaïg, avant d'aller récolter mes légumes (je suis ravie de t'avoir embauchée, mais tu méritais mieux...), pourrais-tu passer chez Miseri, elle est brûlante de fièvre depuis hier soir ?

La soirée se prolongea, tard, très tard dans la nuit. Assis côte à côte sur le tapis devant la cheminée, Mentaïg et HdB, main dans la main et tête contre tête, échangèrent longtemps mots et sourires.
La jeune femme sentait disparaître tous ses doutes, toutes ses angoisses. Elle ne sut pas qui d'elle ou de HdB s'était endormi le premier.

Le jour était déjà bien levé quand des coups furent frappés à la porte. Mentaïg reconnut la voix d'Ysabeau et, un peu ankylosée -mais si heureuse !- elle entrouvrit le battant.
"Bonjour Ysa. Miseri est malade ? Je cours chez elle."
HdB dormait toujours, appuyé à la cheminée. Mentaïg le contempla quelques trop courts instants, puis rédigea une rapide missive.

Citation :

Ysa me dit que l'état de Miseri requiert mes soins. Je reviens dès que possible.

Elle ne signa pas, sachant que c'était inutile. D'un geste sec, elle chargea sa besace sur son épaule et se hâta vers la maison de Miseri.

En rentrant par les ruelles, sa silhouette confondue avec celle de HdB, Mentaïg effaça de sa mémoire les moments pénibles de la journée, la détresse de Saya, la colère explosive de la duchesse. Elle ne voulait garder que la douceur des instants passés en tête à tête avec HdB. Elle ne voulait se souvenir que des moments les plus sereins, les plus calmes. Elle ne voulait plus qu'une seule vie pour deux.
Ce fut tout naturellement qu'elle ne lâcha pas sa main, au moment d'ouvrir sa porte et de franchir son seuil.

Mentaïg se hissa sur la pointe des pieds pour murmurer à l'oreille de HdB : "Souhaitez-vous vraiment vous éveiller tout courbatu sur le tapis, demain matin ?"

HDB souleva Mentaig dans ses bras et la porta sans montrer le moindre effort jusqu'a sa couche. Il la déposa tendrement sur les couvertures et l'embrassa. Puis il lui murmura

Vous êtes la seule à pouvoir occuper ce lit, le tapis sera bien assez doux pour moi, tant que je vous saurais là

Il pris le tapis et le tira contre le lit

Et bien me voilà pret à veiller sur vous cette nuit.

Les bras autour du cou de HdB, Mentaïg refusa de le laisser partir.
"Ne dites donc pas de bêtises, mon âme. Restez près de moi, et parlez-moi encore. Nous avons tant à nous dire, et si peu de temps !"

Un pigeon s'arreta devant la fenetre de mentaig. Il avait a sa patte, une missive.

Citation :

Bonjour mentaig! Je tenais a te remercier d'avoir penser a mon anniversaire. Cela m'a fait énormément plaisir. Encore merci, du fond du coeur.
Ton amie mathilde.

Mentaïg s'éveilla fort tard, l'esprit embrumé. Elle était bien, avec un sentiment de sécurité comme elle n'en avait plus éprouvé depuis sa plus tendre enfance. Les yeux encore fermés, elle savoura l'instant, écouta la respiration de l'homme toujours endormi à ses côtés, renonçant de bon coeur à échapper à l'emprise de ses bras.
Un oiseau tapait d'un bec furieux au volet. Avec un soupir, Mentaïg ouvrit les yeux et se dégagea doucement, sans éveiller le dormeur, et referma sur lui les courtines. Ses vêtements étaient froissés, elle les lissa négligemment du plat de la main et libéra le pigeon, soulagée de voir que ce n'était pas celui qu'elle avait laissé la veille auprès de Miseri pour qu'elle puisse l'appeler en cas de besoin. Puis, sans un bruit, elle s'activa dans la cour, puisa de l'eau, rentra du bois, heureuse pour une fois d'accomplir tous ces gestes quotidiens. Sa vie prenait un sens, dans tous ses aspects. Ce qui n'était jusqu'à présent qu'une maison allait devenir un foyer, et elle prenait conscience que le lieu importait peu.
Ses tâches accomplies, elle s'assit près du lit, et entrouvrit les courtines pour pouvoir contempler à son aise le dormeur, dans l'attente de son réveil.

HdB s'éveilla assez tard. Encore dans les brumes du sommeil, il vit avec bonheur Mentaig, éveillée, assise près de lui.

Bonjour ma douce, excusez mon éveil tardif, mais je crois ne jamasi avoir aussi bien dormi qu'avec vous.

Il se leva et embrassa Mentaig, l'aida à accomplir quelques taches ménagères, puis il pris le chemin de ses terres, ses animaux devant l'attendre avec impatience. Il ramenerait avec lui la nourriture qu'il avait dans sa maison

Elle arriva d'un pas précipité chez Mentaig, un peu gênée d'encore la déranger. Elle laissa un mot à la porte en espérant qu'elle le voit au plus vite.

Citation :

Mentaig,

L'état d'Eloïse est au plus mal, je voudrais savoir si il te serait possible de passer la voir dès que tu as le temps.
Merci

Saya

Elle repartit ensuite en courant chez elle.

Jelu, puisque Mentaïg avait décidé de l'appeler ainsi, passa devant chez elle déposer un carton d'"elixir". Il appréciait beaucoup de travailler avec elle pour l'aide aux Vagabonds. La situation était certes difficile à gérer mais il devait reconnaître qu'elle avait raison : il nétait pas très utile d'être nombreux à tenir le registre.

Il n'avait pas le temps de passer en taverne ce soir mais il apprécierait beaucoup de pouvoir lui parler en direct. Il n'était pas très chaud pour élever des MéSaNges...

Le visage trempé autant par la pluie que par les larmes, Mentaïg parvint jusqu'au n° 19. Un morceau de parchemin illisible, délavé par les intempéries, s'était collé dans l'angle de la porte. Une caisse qu'elle reconnut provenir de la cave de Jelubir attendait. Avec un soupir, elle rentra le tout.
La maison, inhabitée depuis plusieurs jours, sentait les cendres refroidies. Elle parut à la jeune femme, qui avait espéré s'y réfugier un temps, inamicale, inhospitalière. Elle sortit et referma soigneusement la porte.
Les pavés glissaient traitreusement. Mentaïg rejoignit la porte nord. Une sentinelle à demi endormie surveillait vaguement la route de Cosnes. Ce fut un jeu pour la jeune femme de se couler par la poterne, le long du mur, le temps de s'éloigner un peu.
Puis elle prit la route de la forêt.