Chez Mentaïg, au n° 19 rue de la Porte Vieille

En sortant prendre l’air – en même temps que quelques seaux d’eau – comme à l’accoutumée, Mentaïg trouva le billet d’Ysabeau, qui lui fit bien plaisir. Il était toujours très agréable de voir son travail reconnu.
Tout en se préparant pour une nouvelle journée, elle se remémora celle de la veille : discussion fort enrichissante, en taverne, avec messire Segaldaf, qui lui confiait la charge de l’herboristerie ; autre discussion, rapide mais très agréable, avec Lems, qui semblait aller mieux (mais était-ce réel ?) ; réflexion intense, tout en travaillant au potager d’Ysabeau, sur la réorganisation du dispensaire, qui prenait la poussière ; nouvelles des absents, qui ne pourraient rentrer avant le jeudi suivant, retardés qu’ils étaient par des transactions commerciales un peu languissantes…
Surtout, il y avait eu sa nomination au poste de Conseillère municipale chargée de l’accueil des Vagabonds. Lourde responsabilité, qu’elle n’avait pas acceptée sans mûre réflexion, et dont elle mesurait d’autant mieux l’ampleur qu’elle avait bien failli se laisser mourir de désespoir, à son arrivée. Elle avait passé une partie de la soirée à étudier les archives de la Salle du Conseil, dont Ysabeau lui avait donné les clefs. Dame Joanna avait excellé à ce poste, et pour rien au monde Mentaïg n’aurait voulu la décevoir.
Enfin, lumière éclatante au milieu des ombres portées par toutes ses interrogations, il y avait eu les quelques instants dérobés au temps, dans les bras de HdB. Moments trop brefs, mais seraient-ils jamais assez longs ? Trop brefs, mais si intenses.
Mentaïg eut la chance de décrocher rapidement un emploi. Elle prit le premier venu, sans se préoccuper du salaire que cela lui rapporterait. Sa journée serait longue, elle n’aurait encore que très peu de temps pour ses amis, son amour. Elle avait en effet décidé de partir marcher hors des murs dès que la récolte du potager d’Achan serait achevée. Elle avait grand besoin de se ressourcer, seule en dehors des chemins, de respirer un air propre et vide de tout bruit autre que ceux de la nature. Machinalement, elle chercha des yeux sa cape neuve, cadeau de Reine, et se souvint avec un sourire l’avoir laissée, la veille sur les épaules de Saya endormie en travers du seuil de Hugo. Tant pis ! Sa vieille cape, bien qu’usée jusqu’à la trame, lui suffirait. On n’a pas froid quand on marche. Elle vérifia que son feu couvait sous la cendre, mit de la paille neuve dans ses sabots, courut chez Lems se sustenter, puis chez Achan.
Enfin, sans tourner la tête, absorbée dans ses pensées, elle quitta Sancerre.

La longue promenade hors les murs lui fit du bien. Tellement de bien, en fait, qu'elle rentra beaucoup plus tôt que prévu, bien avant la nuit close.
En arrivant devant sa maison, elle éprouva un léger pincement au coeur. Elle s'était plus ou moins attendue à trouver un message de HdB, ou un signe quelconque de sa présence.
"Il a dû être très occupé, se dit-elle. Je le verrai ce soir en taverne."
Et, pour ne pas perdre le temps de jour qui restait, elle décida d'aller faire un peu de ménage au dispensaire.

Mentaïg rentra tard de la taverne.
Tard, et seule.
En effet, elle avait retrouvé Hdb au dispensaire, où il l'attendait impatiemment en veillant Mathilde souffrante. Ils avaient passé ensemble un doux début de soirée. Et puis HdB avait brusquement quitté la taverne, sans prévenir, alors même que son ami Galvane venait de rentrer à Sancerre.
Mentaïg avait d'abord cru à une de ces agaçantes facéties du portier. Mais le bonhomme, qui accusait pourtant largement son quintal, était toujours plié en deux derrière le comptoir, proprement assommé puis rangé par HdB.
Elle avait attendu, en compagnie d'Aryan. Elle avait discuté avec Maleus le message du duc, reçu par pigeon. De temps en temps, elle gagnait la porte, regardait dans la ruelle, guettait l'écho désormais familier du long pas cadencé sur les pavés.
Rien.
"Il va revenir", avait dit Ysabeau avant de quitter la taverne. Mais HdB ne reparut pas, ce soir-là. Sa demeure resta désespérément sombre. Aucun pigeon, aucune mésange ne vint répondre aux interrogations de Mentaïg. Et elle rentra seule, dans sa maison qui lui parut froide et inamicale.
Pourquoi HdB était-il sorti si vite ? Pourquoi n'avait-il fait passer aucun message ?

Un pigeon arriva a la fenetre de mentaig. Il avait un petit message a la patte.

Citation :

Bonjour mentaig, je te remercie de ce que tu as fait, mais je ne le sais pas justement. Pourrais tu m'éclairer? Je n'ai point souvenir de la journée d'hier.
Ton amie,
Mathilde

Plusieurs fois dans la nuit, Mentaïg se leva, attentive jusque dans son sommeil aux bruits ténus de la ruelle. Mais rien, hormis la cloche de St-Jean, ne vint troubler le silence. La jeune femme entrebâillait sa porte, scrutait la nuit, soupirait et se recouchait, transie.
Au petit jour, épuisée, elle dormit plus qu’il n’aurait fallu. Le temps de vérifier son propre potager, d’aller déposer son annonce en mairie et de répondre à celle de Phil et, n’y tenant plus, elle se précipita au n° 104.
Personne, pas un bruit, pas une fumée s’échappant de la cheminée.
Une rapide visite au poste de police lui apprit qu’HdB n’y était pas passé. En taverne, personne ne l’avait vu, personne n’avait de ses nouvelles.
En désespoir de cause, elle revint chez elle, le pas lent. Sur l’appui de fenêtre, son pigeon picorait les quelques grains qu’elle lui laissait toujours. A sa patte était enroulé le message de Mathilde. Aussitôt, Mentaïg rédigea une réponse, par laquelle elle demandait à la dame de la rejoindre en taverne, afin qu’elle pût discuter un peu et sortir de l’isolement dans lequel elle semblait se complaire.
Le reste de la matinée fut morne. En taverne, Mentaïg donna quelques conseils à quatre vagabonds fraîchement arrivés à Sancerre. Mais son esprit était ailleurs, et ses absences furent remarquées.
Et le premier match de soule de la saison était pour cet après-midi ! Mais où donc était HdB ?

HDB se reveilla en forêt. Dans son esprit, tout était flou. Il se souvenait être resté en taverne, Mentaig était là, il avait un peu chatouillé le portier qui, sans doute trop émotif, s'était écroulé sonné.

Il se redressa, adossé à un arbre. Que diable s'était il passé? Rassemblant ses esprits et sa concentration, il revit quelques éléments de sa soirée. Un bruit de verre brisé, dehors, une silhouette massive suivie dans les rues, et puis... plus rien.

Il se mit debout et ressentit une douleur au crane. Il toucha son crane, une légère bosse au sommet.Voilà qui expliquait son état. Maintenant il fallait retourner à Sancerre, Mentaig ne l'avait pas vu partir et risquait de se faire du soucis. Il marcha un peu au hasard, cherchant un repère qu'il trouva sous la forme d'un vieil arbre cassé. De là il trouva un sentier qu'il connaissait et arriva bientot à Sancerre, devant la demeure de Mentaig. Il frappa à la porte

Mentaig, ma douce, êtes vous là???

Mentaïg se faisait un sang d'encre.
La journée s'avançait. A l'église St-Jean, on avait déjà sonné vêpres, et complies s'approchaient.
Soudain, elle dressa l'oreille. Ce bruit, dans la ruelle, ce pas, sur le pavé...
"HdB !"
Avant même qu'il n'eût frappé, elle sut qu'il était là. Elle ouvrit la porte à la volée et se jeta dans ses bras, riant et pleurant à la fois.
"HdB !"

HdB prit Mentaig dans ses bras. Elle semblait tout à la fois heureuse et inquiète.

Je suis désolé de vous avoir laissée sans nouvelles, mais j'avoue que tout est allé un peu vite hier soir. Pourriez vous regarder cette vilaine bosse, elle me lance affreusement, pendant ce temps je vous raconterais ce dont je me souvient.

"Allons bon ! Voilà que vous nous rejouez le Chevalier de la Licorne ? Asseyez-vous ici, à la lumière, que je voie cela... Hmmm ! Oui ! Vous avez vécu dangereusement, ces dernières heures, mon ami !"
Elle s'affaira un instant, fouillant dans son coffre, puis revint à HdB qui attendait sagement.
"Baissez la tête et racontez-moi. Je vous signale que vous avez du verre sur le col, et du vert partout ! Qu'est-ce qui vous a pris de sortir au pas de charge de la taverne, comme si vous aviez le diable à vos trousses ? Vous avez vu un spectre ?"
Puis, voyant qu'il tentait vainement de prendre la parole, elle interrompit son flot de questions.
"Je vous écoute."

HdB passa sa main dans son col, et en ressortit un morceau de verre, non sans s'être coupé le bout du doigt

Et bien voilà un élément nouveau!! Bien commençons par le début.

HdB résuma rapidement ce dont il se souvenait, cherchant en vain de nouveaux détails.

Le malheur est que j'ignore qui était ce gaillard et pourquoi il m'a frappé!!

Les doigts à mi-chemin du pot d'arnica et de la tête d'HdB, Mentaïg murmura, les yeux dans le vague :
"Voyons, récapitulons : une silhouette massive, ... du verre, ... un réveil dans les bois..."
HdB leva une main pour tâter sa bosse, et elle l'arrêta aussitôt.
"On ne touche pas !... On dirait... on dirait..."
Sous l'oeil ébahi de HdB, elle se dirigea soudain vers le coin de la salle où elle serrait son archif, fit demi-tour et se plongea les mains dans un seau d'eau.
"S'agirait pas de le salir !"
Puis, s'essuyant les mains à son bliau, elle ouvrit l'archif à l'aide d'une petite clef pendue à son coup, et farfouilla dans les parchemins roulés à l'intérieur.
"Voyons... Non, ce n'est pas ça... Celui-ci, peut-être ? Non, il était plus petit. Ah ! Le voilà !"
Elle revint vers HdB, brandissant triomphalement un petit rouleau.
"Je savais bien que ça me rappelait quelque chose !"

Quelque chose sur quoi, je ne vous comprends pas ma douce. Lisez moi donc cela, je crois que je saigne un peu et je ne voudrais pas en mettre partout.

Il mit son doigt entaillé dans sa bouche pour ne pas salir le parquet fraîchement ciré.

« D’accord, mon âme. Reposez-vous et écoutez. »
Mentaïg, tout en défaisant le lien qui maintenait le parchemin roulé, expliqua :
« Ce parchemin a été rédigé par mon grand-père, paraît-il. Il contient une légende rapportée des Croisades par un de ses ancêtres, et qui s’est transmise fidèlement de génération en génération. »
Elle posa le lien sur les genoux de HdB et maintint le parchemin à plat devant elle. Lentement, elle lut :

Citation :

« Moi, Jehan de Champagné, sire de Chambellé, je veux noter ici ce que m’a dit mon père, lequel le tenait de son père, et d’autres avant lui. »

Elle releva les yeux.
« Un peu redondant, l’ancêtre, je vous l’accorde. »
Elle reprit sa lecture.

Citation :

« Il est, dans les montagnes de l’est,
Des esprits qui ne se repaissent
Que du sang des buveurs, - immonde !
Quand tombe la nuit sur le monde,
Ils sortent soudain des forêts,
Près des tavernes se rassemblent
Et choquent bouteilles ensemble.
Les buveurs tombent dans leurs rets.
Alors les esprits les surprennent
Et sur le crâne leur assènent
Un coup qui les laisse pour morts
A leur veine qui bat encor
S’abreuvent.
Puis tirent leur corps en sous-bois
Et en leur nid se meuvent.
Toi, passant, toi qui bois,
Que mon récit t’émeuve ! »

Mentaïg roula le parchemin, et relaça le lien, pensive.
« Voilà, HdB, c’est à cette vieille légende que votre aventure me fait penser. Je vous accorde que mon ancêtre avait la plume un peu lourde, mais s’il a pris la peine d’écrire cette histoire, lui le vieux terre à terre, c’est qu’il y croyait peu ou prou. »

HDB semblait pensif, que de détails troublants: les abords des tavernes, le bruit des bouteilles, le coup sur la tête, le réveil en forêt.
Pris d'un doute, il commença à regarder ses bras, ses jambes et son cou dans le miroir de Mentaig.
Mais rien, pas la moindre morsure, la seule trace de cette aventure était cette bosse.
Il est vrai qu'il avait peu bu hier, et sans doute n'était-il pas assez alcoolisé pour susciter un intérêt à cet ... comment l'appeler d'ailleurs!

Ma douce, voilà qui est préoccupant, nombre de sancerrois s'adonnent à la boisson le soir en taverne, que faire pour lutter? Pouvons nous lutter?

Mentaïg et HdB discutèrent le problème fort avant dans la nuit. Se pouvait-il que le monstre décrit -d'après des racontars de veillée !- par Jehan de Champagné eût réellement existé ? Se pouvait-il qu'il traînât la nuit dans les rues de Sancerre ? Pourtant, tout concordait : HdB était sorti en coup de vent une première fois, pour remettre à sa place (et de quelle façon !) le portier qui devenait par trop imbuvable. L'esprit buveur avait dû le voir à ce moment, et prendre peur en voyant de quelle magistrale façon le sergent de police assommait et pliait en quatre une montagne de muscles et d'os. Le pauvre ne pouvait deviner qu'Aryan maltraitait si régulièrement le malheureux portier qu'il en était bien diminué, à force ! Il ne pouvait deviner non plus qu'HdB n'était pas aussi méchant qu'il y paraissait, loin s'en fallait.
Et quand le sergent, alerté par le bruit de verre brisé provenant de la bouteille brisée par le monstre terrorisé, s'était rué une seconde fois hors de la taverne, l'Esprit Buveur avait cru à un salut dans la fuite en direction de son milieu naturel, la forêt.
Les deux jeunes gens, assis côte à côte devant l'âtre, avaient beau envisager tous les aspects de la question ils ne voyaient pas d'autre explication.
L'heure était grave ! Mentaïg pensait à Miseri, Maleus, à Messire Gilberg,... Ces trois-là, plus que tout autre, risquaient fort une malencontre avec l'Esprit Buveur.
"D'abord, dit Mentaïg, tâchons de réunir les preuves. Il nous faudra rôder demain devant le Hâvre, et voir si nous trouvons la bouteille brisée, ou si c'est pur effet de notre imagination."
Ils en tombèrent d'accord. Mais ce ne fut qu'à l'aube naissante que la jeune femme put se résoudre à laisser partir son Aimé. Avec la bosse qui ajoutait trois bons centimètres à sa stature déjà respectable, et un monstre en liberté, elle n'entendait pas le laisser seul dans la rue en pleine nuit.
Ils se séparèrent au premier coup de l'Angelus du matin, pour prendre quelque repos.

Mais le repos fut de courte durée. Mentaïg voulait savoir !
N'y tenant plus, elle se précipita au Havre des Amis.

Quand elle put enfin rentrer, Mentaïg était épuisée. La tension nerveuse des dernières heures retomba d'un coup, et elle n'eut même pas la force de protester quand HdB la laissa sur son seuil pour aller chez lui prendre quelque repos. C'était de toutes façons ce qu'il pouvait faire de mieux, et elle l'imita aussitôt.
Mais elle n'eut pas le loisir de dormir autant qu'elle l'aurait voulu. Elle sombra d'abord dans une sorte de coma abrutissant, dont elle sortit moins de deux heures après, suffocante, en nage, terrassée par les cauchemars. Elle reprit son souffle, s'efforça de vider son esprit de l'horreur rouge et noire qui le hantait encore. Fébrilement, elle s'occupa. Tirer de l'eau au puits, rentrer du bois ; allumer le feu, suspendre le chaudron ; chercher, parmi ses plantes, les feuilles de cassis, la reine-des-prés et l'écorce de saule pour les faire infuser, l'huile de tilleul et les fleurs d'arnica pour un baume apaisant. Et puisqu'elle avait fait chauffer bien trop d'eau, prendre un bain à peine tiède, avec de l'aspérule et de l'aubépine, pour effacer les terreurs et la mauvaise sueur.
Tout cela l'apaisa. Un peu rassérénée, elle partit retrouver ses amis à la taverne du Havre.

Après une soirée très agréable en taverne, HdB reconduisit Mentaig chez elle. Il ressentait un bonheur intense d'être à nouveau libre, près d'elle. Le numéro 19 arriva une fois de plus trop vite

Voilà ma douce, il nous faut à nouveau nous séparer. Je vous serais toujours redevable des soins et du secours que vous m'avez apporté lors de cette épreuve.

Mentaïg monta sur la première marche de son seuil afin de n'avoir plus qu'à se hisser sur la pointe des pieds pour être au niveau de HdB.
"Vous ne m'êtes ni ne me serez jamais redevable, mon âme. Vous perdre, c'est me perdre."
Elle était bien, tout contre lui, son souffle sur son front. Trop bien. Dans un baiser, elle s'échappa et entra dans la maison vide.

Maleus passa rendre visite à mentaig
Il toqua à la porte

"dez mat mentaig!"
"j'peu rentrer?"

Maleus tenai dans sa main une bouteille d'un vieu calva qu'il voulait faire gouter à sa bonne amie bretonne

Mentaïg entendit l'appel de Maleus.
"Degemer mat, d'eus 'ta !"
Elle fit entrer Maleus, bien heureuse de le voir, depuis tout ce temps.

"oui comme tu dis!^^"
"J'passai pour te faire gouter un très bon calva de 20 ans d'age"

maleus rentra à l'interieur

"sont où tes verres?"

"Du calva ? Et 20 ans d'âge, en plus ! Assieds-toi, Maleus, j'arrive."

Elle sortit deux chopes de leur niche dans le mur, près de la cheminée, et les posa sur la table.

"Tu veux du kwign aman avec ?"

Sans attendre la réponse, elle apporta la pâtisserie.

"Fais le service, et n'aies pas la main trop lourde !"

"C'est pas de refus!"
Maleus prit une part de ce delicieu gateau et remplit les verres

"Goute moi ça tu m'en dira des nouvelle!"