209, rue de la Porte Vieille, l'hermitage de Bragon

Ce soir Bragon rentrait tard de taverne, Ysabeau fatiguée de la veille où elle avait oeuvré et de sa journée de travaux au champ à son bras. Ils avaient emprunté les chemins de traverse, avaient marchés ensemble, enlacés. Bragon portait Ysabeau, éreinté en l'hermitage.
Le feu chauffait la pièce principale. L'alcove était ouverte, y tronait une magnifique couette, neuve. Ysabeau souriait. Avec moultes précautions Bragon allongea sa bien aimée dans l'alcove, lui murmurant de vains mots à l'oreille. Il apporta une tisane, qu'elle délaissa. Ils s'embrassèrent longuement, et fermèrent l'alcove.

Ysabeau ouvrit les yeux au matin. Un instant elle se demanda où elle était. L'alcove formait comme une petite maison, un nid douillet. Elle n'y était point seule, Bragon était à son côté. Elle se souvint alors de la nuit, des baisers échangés, des caresses, de cette attention de chaque instant. Jamais elle n'avait ressenti une telle douceur, un tel échange, une telle joie. Ils s'étaient donnés, reçus, ils avaient partagé leur amour. Des larmes de joie montèrent à ses yeux. Elle se rapprocha de Bragon, tout près, pour sentir sa chaleur, son souffle. Elle déposa un baiser sur son épaule...
Mais il était l'heure d'aller aux champs. Elle ouvrit l'alcove, prépara un pot de lait frais, et une bonne miche beurrée. Bragon allait se lever aussi, et elle savait qu'ils seraient ensemble à nouveau pour la journée de semailles

Merci pour cette nuit ensemble mon tendre coeur, merci d'être vous. Je n'oublierai jamais ce que nous avons vécu, jamais...

Passant devant chez Bragon qu'elle savait aux champs, Ysabeau y laissa un petit message

Citation :

Mon doux ami, nous ne travaillerons pas ensemble aujourd'hui puisque Jade a pris la place, mais demain vous serez vêtu d'une belle et chaude chemise. Je suis en train de vous la tisser, je pense que vous en serez content... A très bientôt, travaillez bien, labourez bien, demain vous aurez moins froid... Je pense à vous et vous envoie mille baisers ailés, légers comme une plume d'ange. Je vous aime tant...

Bragon avait rapidemment préparé un baluchon, écris une pancarte.

Citation :

Parti un bon moment. Je reprends du service. Ne vous inquiétez point, le cuir est encore dur, l'âme encore jeune. "Faucheuse" chante, le devoir l'appelle.

vous saurez tout ici : ... la brebis

La maison était calme. Personne, Bragon devait être parti aux champs de bon matin. Ysabeau déposa sur la fenêtre un petit papier roulé, et repartit discrètement vers son échoppe

Citation :

J'espère que vous avez passé une bonne nuit. Ce matin je vous ai envoyé une lettre... Aurez-vous le loisir et la patience de la lire ? je vous aime, j'ai peur de vous perdre, si peur...

Bragon rentrait de ses champs où Dame Perlette oeuvrait courageusement, même s'il avait précisé qu'une simple présence symbolique suffirait grandement. La pauvre avait du repos à prendre.

Il fut arrêté par le mot sur sa porte, la lettre postée par le pigeon...

Toute sa vie, Bragon avait oeuvré au service de quelqu'un d'autre, souvent au service d'une dame. Il avait juré de ne pas retomber dans ce piège si délicieux soit-il. Sa fougue avait manqué de le perdre encore, le coupant du soutien d'une troupe puissante pour sauver Ysabeau. Les dames étaient un piège pour son coeur trop fragile. C'est pourquoi il avait choisi une vie sociale différente, souhaitant parfois s'isoler mais recherchant souvent la compagnie de cette dame qui lui apportait le calme. Il l'avait apellé remède, Egérie aussi. Et aujourd'hui elle avait peur de le perdre. Bragon aussi avait peur de se perdre. C'était un vieux grincheux qui n'aimait que trop écouter le vent.

Ysabeau doutait de Bragon autant qu'il doutait de lui-même. Construire une cabane au fond des bois...l'idée était d'Ysabeau. Encore une fois elle avait raison. Bragon pris la décision de sortir dormir à la belle étoile, à l'abri d'un grand arbre, armé de sa couette, Bragon sans "Faucheuse" n'était plus vraiment Bragon.

En cette fin d'année, Bragon fouille à nouveau dans sa malle, et délivre un message d'espoir aux enfants qui souffrent de part le royaume.
Dans cette malle, résident des poèmes... Parmi ceux là, celui d'un enfant de dix ans. Je demande humblement aux copieurs de toute sorte de le laisser ainsi, car cet un souvenir d'un enfant qui a souffert.

Citation :

Vous me regardez avec bienveillance comme un enfant
Mais aujourd'hui je ne le suis plus, je suis devenu grand
Je regarde comme un homme
Je ne suis ni plus triste ni plus gai
Ni plus somptueux ni plus laid
Je souffre comme un homme,
Mes os qui se tordent sont sortis de l'enfance
Comme ces breuvages aidant mes défenses
Je regarde la mort comme un homme
Tous ces regards attristés devant moi
Toutes ses attentions que je ne mérite pas
Je les ressens comme un homme
Ce que réclame mon corps maintenant
C'est sur ma peau la main de ma maman
Comme un homme...

Si ce poème vous parait un peu triste, cet enfant est aujourd'hui vivant. Ses membres sont intacts, la Mort n'en a pas voulu, Dieu l'aurait-il secouru? Il a couru les plaines du monde, descendu les torrents de la vie.

Votre malle contient des trésors mon ami. J'ai reconnu l'enfant qui parle ainsi. Non ce poème n'est pas triste, parce qu'il parle de la vie plus forte que la mort, parce qu'il parle de la construction d'un homme.
L'enfant l'a-t-il montré à sa maman ? (c'est peut-être une question idiote, mais la maman que je suis n'aurait pas résisté...)

Chère Ysabeau,
Connaissant bien les parents de l'enfant, je vous dirai juste ceci:

Chez ces gens là, madame, on ne sourit pas,
Chez ces gens la, madame, on instruit.
Chez ces gens là, madame, on ne pense pas,
Chez ces gens là, madame, on crie.
Chez ces gens là, madame, on ne vit pas,
Chez ces gens là, madame, on triche.

Les textes de cet enfant, le jour où sa mère les lut furent sauvés du rebus par sa soeur. Chez ces gens là, madame, pas de place pour les états d'âme.

Mais le message de ce texte est autre!

Il chante qu'au delà des souffrances, même celles qui touchent un enfant, réside un espoir! Que même si les parents, les adultes, les sachants pensent cause perdu, il reste un espoir. Cet espoir existe dans la lutte, dans l'amour de son prochain ou de sa maman (fusse-t-elle inaccessible).

Ami Bragon j'avais bien compris le message... La question était accessoire, cela m'étonne tellement que "ces gens-là" existent... Je suis naïve, je le reconnais, peut-être parce que j'ai eu la chance d'avoir des parents aimants et attentifs... et qui pourtant priaient aussi !

Ysabeau passait devant l'hermitage, tout était calme, personne dans la maison. Bragon devait être au travail, ou en forêt. A la fenêtre elle accrocha quelques perce-neige, et un petit mot

Citation :

Bonjour mon ami, je voulais juste vous souhaiter une douce journée. J'espère que la nuit fut profitable et que vos soucis familiaux vont s'estomper peu à peu. Peut-être nous verrons-nous ce soir... A très bientôt, je pense à vous et vous envoie de tendres baisers

Bragon se réveillait bouleversé par la nouvelle. Lems encore une fois avait pensé être rejeté, lors que s'ouvrait à lui le bonheur d'une liberté d'aimer. Quelle folie que l'amour... Ce fut le moteur de sa vie, puis sa plus grande déception, son plus grand espoir, la cause de sa folie, sa renaissance. L'amour est le moteur des hommes. Il ne s'analyse ni ne se contrôle. Pour s'en protéger on commets les pires erreurs, à ne pas s'en prémunir, on fait les pires folies.
Sa nuit fut traversée d'amour et de craintes, de luttes et de caresses. Mais l'heure était à l'ouvrage, la seule issue à ces maux. L'ouvrage et la joie de rire dans les champs avec Ysabeau qui l'accueuillait chaque jour, souriante et aimante, une douce personne qui ne demandait qu'à être aimée et aimer de retour, rien de plus qu'un amour simple et libre, doux et pur. " Merci Ysabeau"

Leur délicieux petit déjeuner terminé, Ysabeau et Bragon s'en allèrent chacun vers ses occupations. Avant de se rendre au village, puis à l'ambassade, Ysabeau fit un détour vers l'Hermitage. A son tour d'y déposer son gage... La porte était entrouverte, Ysabeau entra et déposa un petit rouleau de parchemin sur la table

Voici mon premier gage , mon premier poème, mon amour. Lisez... Puisque je vous ai trouvé, les autres ne seront plus gages mais cadeaux...

Citation :

Aujourd'hui je vous ai cherché
Mon amour
Autour du bois, près de la source
Nuit obscure
Tout est noir, j'entends des murmures
Egarée

A tout à l'heure à la Mairie, à ce soir au bal (j'y serai jusqu'à 19h30), à tout de suite dans mes pensées...

Ysabeau entrouvrit à nouveau la porte de l'hermitage. Tout était calme. Mentaig dormait-elle dans l'alcôve ?... Elle déposa tout doucement un rouleau de parchemin sur la table.

Voilà mon premier cadeau, puisque ce ne sont plus des gages désormais... L'aimerez-vous ?

Citation :

Soleil pâle et froid
Neige crissant sous les pas
Rossignol transi

Bourgeons nouveaux-nés
Un nid au creux d'une branche
La vie de retour

Cigales chantantes
Coquelicots dans les champs
Chaleur immobile

Feuilles d'or rougies
Tourbillonnent, oiseaux fous
Avant de tomber.

Puis elle sortit à pas de velours.

Ysabeau se rendit à l'hermitage, tout était calme. Elle savait que la veille Bragon était rentré très las de sa journée. Elle entra donc tout doucement, ne sachant point s'il était là ou s'il avait eu le courage d'aller en forêt... et déposa son troisième poème sur la table.

Citation :

Il était une page blanche
Une plume l'a caressée
Mais les mots se sont effacés
L'oiseau s'envole de la branche

Sur la page une main se penche
Mais la plume est si fatiguée
Que les mots se sont égarés
Un chat est passé sur la planche

Les mots s'en vont à tire-d'aile
Et personne ne les a lus
Le feu noircit la feuille nue

Crépitement, et puis plus rien
Qu'un peu de cendre dans la main
Fine poussière mortelle.

à tout à l'heure peut-être...

et elle sortit pour se rendre à la Mairie où son travail de recensement l'attendait

Ysabeau arriva devant l'hermitage. Pas un bruit, mais comme d'habitude Bragon avait laissé la porte entrebâillée... Dormait-il dans l'alcôve ou avait-il préféré s'en aller en forêt, après la dure soirée de la veille ? Elle entra tout doucement, et déposa sur la table son quatrième poème, avec un petit bouquet de fleurs rares qu'elle avait gardé pour lui.

Voici mon poème journalier mon ami. Puisse-t-il ramener un sourire sur vos lèvres !

Citation :

Un sourire c'est comme
Le soleil après la pluie
Un arc-en-ciel multicolore
Une fleur éclose
Un chat qui ronronne
et aussi
Une bougie allumée
Une étoile au ciel
Un carré de ciel bleu
Une goutte de rosée
Une luciole dans l'herbe
et puis
Trois petites notes de musique
Un chant d'oiseau
Une bulle irisée
Une plume qui vole

Un sourire, votre sourire
C'est déjà comme
Un mot d'amour silencieux.

Toujours marchant à travers les ruelles, Ysabeau s'arrêta enfin devant l'hermitage, entra doucement, sans faire de bruit. Le poème de la veille était toujours sur la table, Bragon avait-il eu le temps de le lire ? Elle sourit, et déposa à côté un nouveau rouleau.

Citation :

Baisers volés
Rêveusement
Amour, toujours ?
Gageure, griserie
Offrande, oasis
Nuit étoilée

A ce soir, si vous voulez, si vous pouvez...

Puis elle sortit tout aussi doucement, et s'en fut vers ses tâches quotidiennes.

Encore tout étourdie de son premier jour de Maire, que de choses à apprendre, que de choses à retenir... Ysabeau s'arrêta devant l'hermitage.
Elle tenait à la main un rouleau de parchemin, et un pot de grès recouvert d'un linge. Elle entra sans faire de bruit, elle savait que Bragon avait laissé la porte légèrement ouverte.

Voici mon poème journalier, mon ami. Je ne vous ai donc point trouvé et j'en suit plus marrie que vous ne pouvez le penser... Mais il est vrai que vous ne m'aidez guère, pas un regard (ou alors bien furtifs), pas une danse, pas un mot... enfin, c'est le jeu, n'est-ce pas.
Je vous laisse aussi ce lait de poule tout chaud, il calmera vostre fièvre. A bientôt je l'espère de tout coeur

Citation :

Paroles gelées
Mon coeur est fermé
Cadenassé, verrouillé
Où est la clé ?

Je vous ai rencontré
Vous m'avez regardée
Vous m'avez tendu
La clé
Et les mots sont venus
Cavalcade éperdue,

Mots doux
Mots magiques
Mots délicieux
Mots de tendresse
Mots merveilleux
Mots enchantés
Mots murmurés à l'oreille
Mots déposés au coin des lèvres dans un baiser
Mots éternels
Mots présents, cadeaux de la vie
Mots d'amour

Ysabeau arriva à l'hermitage, entrouvrit la porte, se glissa comme un chat à l'intérieur, et posa doucement sur la table un parchemin roulé, entouré d'un ruban

Voici l'avant-dernier de mes gages, mon ami. Je souhaite qu'il vous rappelle ce moment où nous étions seuls dans la taverne hier soir, ce moment si doux et si présent encore...

Citation :

Vos mains sur mon corps
Ausi douces, aussi légères
Que des ailes de papillon...
Elles courent, elles passent
Elles s'attardent, et sous la caresse
Je frissonne,je m'abandonne
Je réponds
Plus besoin de parler
Plus qu'à se laisser bercer
Abandonner
Emporter
Enivrer
Par la vague
Plus qu'à se donner, entièrement,
Ames et corps mêlés, accordés, transportés
Ensemble
Nous...

Dans la nuit noire et venteuse, Mentaïg s'approcha de l'ermitage et coinça sous le heurtoir un rouleau de parchemin.

Citation :

Je suis fort heureuse, Messire, que vous ayez choisi cette profession. Etant matinale, je ne crois pas que votre activité me dérangera. Auriez-vous l'amabilité de me laisser débarrasser votre forge des "souvenirs" que les chevaux y déposeront quand on vous les mènera pour le ferrage ? Mes légumes sauront en profiter.
A très bientôt en taverne,
Mentaïg

Et elle s'en fut en direction de l'amicale chaleur de la taverne.

Ysabeau s'approcha de l'hermitage, visita la forge où tout avait l'air en ordre, les outils prêts, le soufflet flambant neuf... Elle sourit, pensant à Bragon travaillant sous les étincelles... puis elle entra tout doucement dans la maison. Tout était calme. Elle déposa sur la table deux petits rouleaux, et un petit paquet qui contenait plusieurs flacons d'huiles essentielles.

Citation :

Mon tendre ami, j'ai lu vostre message. Tout d'abord ne m'appelez jamais madame la Maire. Pour vous je reste et resterai toujours Ysabeau, quelles que soient mes fonctions. Je vous laisse donc mon dernier poème. Le bal est bien fini maintenant, j'ai respecté nostre contrat et je vous ai donné tous mes gages. Croyez que ce fut un plaisir extrême pour moi, je vous en veux juste un peu (mais si peu...) ne ne point avoir voulu lever vostre deuxième masque (y en avait-il un d'ailleurs ?). Je vous laisse aussi ces flacons d'huiles essentielles, et si vous le souhaitez, je viendrai vous délasser après le dur travail de la forge... A très bientôt mon aimé, je pense à vous et vous redit toute ma tendresse.

Citation :

Des mots doux à mon oreille
et j'entends
L'harmonie d'un chant d'oiseau

Vos yeux dans mes yeux
et je vois
La lumière d'une étoile

Vos lèvres sur mes lèvres
et je goûte
La saveur d'un fruit doré

Vos mains sur ma peau
et je ressens
La douceur d'une aile d'ange

Vous me serrez dans vos bras
et me viennent
Les senteurs de la forêt

Puis elle s'en fut, le pas léger...