Le dispensaire Saint-Roch

En regardant s'éloigner l'homme, dont elle n'avait osé demander le nom, Mentaïg se demanda s'il serait capable de se reposer suffisamment. Il ne semblait pas du genre à se complaire dans son mal, peut-être même pas assez. Elle le voyait retenir ses quintes, autant que faire se pouvait. Et elle savait qu'il ne servirait à rien de lui renouveler ses conseils de repos.
Elle espéra toutefois que la fatigue le rendrait raisonnable.

Alors qu'elle était au dispensaire, quelques jours plus tard, à confectionner son huile de calendula à l'aide des soucis soigneusement séchés, elle entendit au dehors une sorte de raclement. Il s'était passé entretemps toute une série d'événements qui avaient requis toute son attention à l'Ambassade et, en ce jour de retour des premiers soldats démobilisés, HdB à leur tête, elle était heureuse de pouvoir se reposer dans l'ambiance odorante du dispensaire. L'après-midi était belle, malgré quelques passages de nuages, et la température prenait enfin des couleurs de saison. Mentaïg passa la tête par la fenêtre grande ouverte.

Le Leu !

Elle s'était renseignée sur le nom de l'habitant du 62. Il était là, binette en mains, en train de sarcler le pied du mur, au mépris de toute prudence.

Voulez-vous bien cesser tout-de-suite ?! C'est comme ça que vous prenez du repos ?

Il releva la tête, surpris par l'algarade. Mentaïg se rendit compte qu'il n'avait cherché qu'à rendre service, et radoucit sa voix.

Excusez-moi. Je n'avais pas l'intention d'être si sèche. C'est très gentil de vouloir m'aider à entretenir les abords, ils en ont certes besoin. Mais de grâce remettez ça à plus tard ! Entrez donc un instant. Nous parlerons un peu, je suis sur le pied de guerre depuis l'aube, une pause nous fera du bien à l'un et l'autre !

Elle ouvrit grand la porte et attendit que Le Leu pose sa binette.

Mentaïg tenait la porte ouverte, attendant patiemment que Le_Leu voulût bien cesser son jardinage. Il entra enfin, faillit tendre la main, se ravisa au dernier moment et plongea dans une petite courbette qui embarrassa quelque peu la jeune femme. Le_Leu regardait autour de lui, se dandinait d'un pied sur l'autre, visiblement mal à l'aise.

Mais qu'est-ce que j'ai donc de si particulier ? se demandait-elle, vaguement attristée. Déjà l'autre jour, en taverne, Pilleur qui me dit que j'intimide les vagabonds. Et maintenant, celui-ci, qui n'ose même pas me regarder en face !

Elle mit de côté la question pour y réfléchir plus à l'aise, plus tard, peut-être avec HdB, et reprit à voix haute.

De la cramaillote ? Bien sûr ! Je vais vous en donner tout un pot, ça devrait vous tenir deux bonnes semaines.

Elle attrapa le remède sur l'étagère, et le tendit à Le_Leu. Son oeil exercé enregistrait les changements survenus depuis leur dernière rencontre. Il mentait manifestement en prétendant n'avoir plus de fièvre, mais ses lèvres n'avaient plus cette coloration bleuâtre de si mauvais augure, son visage ressemblait moins à un vieux parchemin tout sec. Mentaïg aurait bien voulu voir ses ongles, mais l'arrachage des mauvaises herbes les avait masqués d'une bonne couche de terre.

C'est quand même dommage de faire concurrence à une corneille, ne trouvez-vous pas ? demanda-t-elle en souriant. Je vous répète que, dimanche ou pas, vous devez rester au chaud, et vous reposer. Embauchez quelqu'un pour s'occuper de vos porcs, dans les jours à venir.

L'homme prit le pot de cramaillote avec des gestes empreints de respect, comme si elle lui avait tendu quelque précieux coffret au lieu d'une simple petite jarre de terre cuite. Il regardait toujours autour de lui, et semblait fasciné par les quelques plantes que la jeune femme gardait sous la main au dispensaire. Mue par une inspiration soudaine, elle reprit :

Vous semblez aimer le jardinage. Et moi, je n'ai plus guère le temps d'herboriser, ni même de cultiver tout ce dont j'aurais besoin. Les jours allongent, paraît-il, mais j'ai l'impression qu'il n'y a jamais assez d'heures dans mes journées.

Elle sourit, songeant aux pauvres pigeons qui devaient attendre qu'on les soulage de leurs messages, dans son pigeonnier du n°19, et qu'elle n'avait pas encore eu le temps de nourrir.

Est-ce que ça vous dirait de me donner un coup de main pour recharger les étagères de l'herboristerie, quand vous irez tout-à-fait bien ?

Dès que la taverne des Caves de Graçay, ravagée par un incendie, fut mise sous surveillance par Hugo, Mentaïg prit les devants et se précipita au dispensaire.
Elle aurait bien aimé pouvoir prendre un peu de repos, mais il restait trop à faire. Elle commença par allumer un feu dans la cheminée de la salle d'accueil et dans celle des deux grandes chambres, prépara des lits, et puisa suffisamment d'eau pour emplir un cuveau. Elle en était à enfiler des vêtements secs quand elle entendit un bruit à l'extérieur. Elle sortit dans le jardin, prête à recevoir ceux qui se présenteraient.
Assise sur banc, sous la pluie qui tombait toujours, mais plus calmement à présent que l'orage s'était éloigné, Amelia semblait dormir. Mentaïg lui mit la main sur l'épaule.

Amelia ? Entrez donc vous changer. Vous êtes trempée ! J'ai préparé un cuveau. Si vous voulez prendre un bain, l'eau sera chaude dans quelques minutes.

"Merci Mentaïg..."

Amélia entra, frissonnante. Elle avait froid et se sentait épuisée. Mais, elle n'y pensait même pas. Sa seule préoccupation était l'état de santé de Gallup.

Amélia se déshabilla et s'envellopa dans une couverture donnée par Mentaig. Elle entra dans l'eau chaude et s'y plongea toute entière.
Elle ressortit la tête de l'eau, se frotta les yeux et regarda Mentaig qui revenait de la pièce à côté.

"Mentaïg, comment était-il quand vous l'avez trouvé? Vous pensez qu'il s'en sortira? Arrivera-t-il bientôt?"

Mentaïg choisit parmi les vêtements que l'on gardait au dispensaire pour les nécessiteux ceux qui lui paraissaient convenir à la taille d'Amelia, et les rapporta près du cuveau.

Mentaïg, comment était-il quand vous l'avez trouvé? Vous pensez qu'il s'en sortira? Arrivera-t-il bientôt?

Amelia était manifestement morte d'inquiétude. Tout en déployant une grande toile devant le cuveau pour que la jeune femme pût s'en envelopper et se sécher, elle tenta de la rassurer. Elle se dit que le mieux serait de l'occuper.

Je pense qu'il ne devrait pas tarder, Amelia. Il faisait très sombre, dans cette cave, mais je pense qu'il ne souffre de rien d'autre que d'une bonne cuite ! Il a dû se servir largement en poire en nous attendant, et les effluves de l'alcool n'ont pas arrangé son état. Un petit problème à la jambe, aussi, rien qu'on ne puisse réparer.

Tandis qu'Amelia s'habillait de sec, elle lâcha la bonde du cuveau, dont l'eau s'écoula dans la rigole prévue à cet effet, puis le regarnit d'un drap propre.

Si vous vous sentez d'attaque, ça m'arrangerait bien que vous fassiez la porteuse d'eau, s'il vous plaît ! Je suppose que Misé et les autres apprécieront un bain. Et si vous pouviez aussi préparer quelques toiles supplémentaires, et trier des vêtements pour chacun, ça me permettrait de me consacrer aux remèdes. Tout est dans les deux coffres de la salle voisine.

Avec un sourire, elle tira le rideau séparant l'accueil des étuves, et se mit en devoir de rassembler les baumes et potions dont elle aurait besoin.

Gallup ouvre les yeux.













??????

De l'eau boue.

Quelqu'un fait bouillir de l'eau.

Qui fait bouillir de l'eau ?

Pourquoi fait-on bouillir de l'eau ?

On fait bouillir de l'eau pour faire une tisane.

Pour qui fait t-on de la tisane ?

mais je n'ai pas commandé de tisane !

Eh bien, sergent ! On se réveille, on dirait ? Si la simple perspective d'une tisane vous fait cet effet, j'ai comme l'impression que vous n'avez plus besoin d'en boire.

Toujours ligoté comme un saucisson, personne n'ayant pensé à le défaire de ses liens, Gallup venait d'être amené au dispensaire. Prudemment, Mentaïg préféra s'occuper de sa jambe cassée avant de lui libérer les bras. Savait-on jamais ce qui pouvait arriver, avec le sergent Gallup ?

J'ai cru comprendre que vous m'aviez confondue avec je-ne-sais-quelle universelle aragne, Gallup, dit-elle tout en préparant des attelles convenables. Ne vous inquiétez pas, vous n'êtes ni le premier, ni probablement le dernier.

Après s'être assurée que le sergent ne risquait pas de se retrouver avec une patte folle pour le restant de ses jours, elle assujettit soigneusement des attelles de meilleur effet que les planches provisoires, puis s'assit un instant à son chevet pour dénouer les morceaux de drap qui lui liaient toujours les bras au corps.

Je peux vous proposer de la bourrache, mais j'ai dans l'idée que vous préférez encore le troupeau de bisons sous le scalp et les cheveux qui poussent à l'envers.

Baissant la voix, elle ajouta :

Je suppose que vous avez vu le corps de cette femme, dans la cave de la taverne ? Hugo a fait condamner les issues en attendant que vous soyez apte à vous en occuper.

Gallup ferme les yeux au murmure et sourit...

- moi aussi....

puis il tire le cou vers l'arachnide qui le menace d'un bourrache de crane.

- je préfère un grand verre d'eau... j'ai la bouche pâteuse comme si j'avais avalée une tourte pas cuite...

Que c'est t-il passé ?? je faisais ma ronde de nuit , j'ai entendu une porte claquer, c'était celle , arrière, de la taverne du Shaigan... j'ai trouvé cela étrange, d'autant qu'elle n'est pas vraiment fréquentée en ce moment c'te gargotte...
j'ai pensé à un maraudeur, je suis rentrée, j'ai vu des traces de sang, des trainées vers la cave, j'ai descendu l'escalier, et c'est la que j'ai reçu un bon coup de sabot sur la nuque... un cadavre de femme vous dites ?

Oui, Gallup, une jeune femme, autant que j'aie pu en juger.

Mentaïg tendit au sergent le verre d'eau demandé. Pour une fois qu'il voulait autre chose que de la poire, elle n'allait pas le lui refuser !

Une femme, à en juger par ses longs cheveux. Jeune, probablement, une peau sans ride. Et ...

Elle avala sa salive, revivant le moment où elle avait cherché des signes de vie absents.

... et égorgée. Hugo demande que ça reste secret, ajouta-t-elle dans un souffle.

Et pourquoi je me suis retrouvé estourbi en cette cave ?? une explosion ???

Amélia s'installa sur un tabouret à côté de Gallup, lui tenant la main. Elle écoutait la conversation entre ce dernier et Mentaig. Une jeune femme était morte dans l'incendie. Quelle tragédie! Mentaig murmura quelque chose à Gallup qu'elle n'entendit pas. Par respect pour leur conversation, Amélia préféra les laisser.

Je retourne à côté trier le linge. Si vous avez besoin de moi n'hésitez pas...

Elle sortit de la pièce.

Les incendiaires ? une explosion, c'est ca ??
je n'en sais strictement rien !!
J'ai juste constaté une porte ouverte et des traces de sang... et quant au maccab' du caveau, il y faisait noir comme sous une soutane de none et je ne savais même pas qu'il s'agissait d'une femme !
Par contre, si les plaisants qui lui tranché l'menton on fait sauté l'bouzin avant de calter, c'est qu'ils n'étaient pas pressé que l'on l'y trouve le pourquoi du comment... surtout il faut mettre le corps à l'abri et triple la garde autour du lieu du crime. Des nouvelles de mon supérieur ? non bien sur... il a le sommeil lourd...
mais comment saviez vous que j'étais dans la taverne ? si des gens m'ont vu y aller, ils ont surement vu ceux qui en sont sortis...

Je n'en sais pas plus pour l'instant, et je suis trop fatigué pour en déduire quoi que ce soit.
Bonne soirée les amis, et surtout, surtout, merci de m'avoir tiré de la...

C'est au beau milieu de la nuit qu'il se réveilla, frigorifié.
Une fenêtre avait été laissé ouverte et le froid avait gagné la ville, après l'orage.
La salle était déserte, et triste dans le pénombre.
Simon se redressa, et prit les deux béquilles que Mentaig avait déposé à coté du lit. Il posa un pied par terre, prudemment, et se mis debout, appuyé sur ses cannes. La tête lui tourna un peu, mais il en avait vu d'autres et des sévères.
Clopin clopant, une couverture sur le dos, il sorti de la salle, tirant la langue au passage à un fort laid crusifix qui le regardait réprobateur.
Le gardien de nuit était assoupi dans son hamac, ses ronflements rappelant un tombereau de betteraves que l'on déverserai.
Le sergent passa , le plus discrètement possible le porche, et disparu dans le nuit noire. Il aura toute la ville à traverser, en direction de l'ouest, mais il était plein de volonté.

[ la suite quelque part sur ce forum... mais de l'ordre du privé. ]

Ainsi, Gallup n'en savait pas plus que Hugo ou elle-même...
Déçue, Mentaïg vaqua à ses occupations tout en s'interrogeant en vain. Qui était cette femme trouvée égorgée dans la cave de la taverne ? Comment Hugo et Gallup allaient-ils s'y prendre pour mener l'enquête ? Qui étaient ces hommes qui l'avaient interpellée de façon si grossière alors qu'elle s'affairait auprès du sergent mal en point ?
Elle s'assura que Gallup ne manquait de rien, posa sur sa fracture un cataplasme de prêle qui aiderait les os à se ressouder, laissa au pied du lit une couverture supplémentaire et une paire de béquilles. Puis, après avoir vérifié que le gardien de nuit était à son poste, elle se coucha dans la pièce minuscule d'où elle pouvait surveiller les deux grandes salles en cas d'afflux de malades.

Elle fut éveillée par un bruit bizarre, très faible, mais qui suffit à la tirer du sommeil léger qui la prenait quand elle avait des malades en garde.
Clic clop ... clic ... clop...
Silencieuse sur ses pieds nus, elle écarta le rideau qui masquait le guichet de surveillance,... et faillit éclater de rire.
Gallup, un peu titubant mais bien décidé, tirait la langue à un crucifix, puis se dirigeait vers la sortie. Mentaïg s'élança pour intervenir, mais y renonça. Après tout, si le sergent préférait passer la nuit ailleurs, pourquoi pas ? Puisqu'il semblait à peu près d'aplomb et que, malgré les apparences, il n'avait rien d'une tête brûlée, autant le laisser vivre sa vie à sa guise.
Elle se recoucha et se rendormit du sommeil du juste.

Amélia se rendait au dispensaire. La veille au soir, elle avait un peu parlé à Mentaïg en taverne et celle-ci, après lui avoir raconté ce qui s'était produit chez elle, lui avait dit qu'elle passerait la nuit dans la chambre de garde. Amélia allait donc voir comment son amie avait dormi et lui apportait une brioche toute chaude. En arrivant, elle vit Mentaig qui déchargeait quelques affaires d'une charette à bras.

"Bonjour Mentaïg. Comment vas-tu? Je t'ai apporté de quoi déjeuner un peu... Attend, je vais t'aider..."

Amélia posa son panier dans l'entrée et entreprit d'aider Mentaïg à décharger ses affaires...

Mentaïg déchargeait sa charrette, quand elle vit arriver Amelia, précédée d'une délicieuse odeur de brioche toute chaude.

Attend, je vais t'aider...

La jeune femme accepta avec plaisir l'aide si obligeamment offerte.

Volontiers, Amelia ! C'est lourd, tout cela !

Elle s'attabla ensuite avec Amelia pour partager la brioche, hésita un moment avant de demander encore.

Viendrez-vous jusque chez moi ? J'aimerais avoir de l'aide pour descendre dans cette espèce de cave. Et puis, il faudra que je trouve suffisamment de bois pour refaire un plancher, quand on aura compris ce qui se passe sous nos maisons.

Aryan arriva devant la porte du dispensaire et l'ouvrit. Elle avait mangé un peu lors de sa retraite et sentait qu'elle avait repris quelques forces mais elle était encore faible et se demander comment elle avait réussi à trainer sa carcasse jusqu'ici.

Elle se mit en quête de trouver Mentaig mais le dispensaire lui semblait si immense. "Comment je vais la trouver moi"

Elle regarda à droite, à gauche puis à droite. "Norf, y'a des portes de partout !" Aryan regarda en face d'elle et trouva une chaise. Elle traina sa carcasse et s'assit dessus en espérant que le bon dieu veuille bien lui accorder ses prières .